Considérations générales sur l’ensemble de l’étude – En l’état d’avancement des travaux (août 2010)
Nombre d’études ont montré que bien de bébés présentant des signes de souffrance lors de la première année et jusqu’à environ 18 mois ne sont pas diagnostiqués autistes à 36 mois. Sutera et al., (2007), rapportent que 22% des diagnostics portés dans les 2 premières années ne sont pas confirmés à 4 ans. De même, les données rassemblées par J.N. Trouvé dans son Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme Interuniversitaire de Neuropédiatrie, montrent également peu de stabilité, sauf pour les autismes sévères, entre les signes précoces et le diagnostic final, montrant ainsi « une réelle difficulté de passage du simple repérage au diagnostic. »
Les résultats que nos présentons ici rejoignent cette tendance, montrant plus de sensibilité que de spécificité pour les indicateurs des deux premières années.
Cependant, les résultats d’une thèse de sciences récemment soutenue sur l’analyse spectrale des échanges vocaux mère-bébé montrent qu’il est possible de repérer statistiquement (sur un groupe), dès les 6 premiers mois, une moindre réactivité au contact social et aussi aux vocalisations. La revue de littérature montre également que si au cours de la deuxième année, les signes sont plus nombreux et significatifs, tels que la difficulté du contact visuel, la difficulté du contact (manque de câlins), la non-apparition des mots et des phrases, de mimiques et jeux sociaux, et de capacités telles que le pointing et l’attention conjointe, des signes sont déjà présents dès la première année. Une détection très précoce des signes d’alerte devrait donc être possible.
Les résultats de notre étude ici présentés, même partiels, nous confortent dans l’intérêt de prendre un indicateur de développement de la communication comme « fil rouge » de l’observation des états de souffrance chez l’enfant de moins de deux ans. En effet, ces indicateurs, bien que peu spécifiques à cette période, s’avèrent efficaces quant à la détection de difficultés de développement, pouvant –à une fréquence qu’il s’agira de mesurer- évoluer ou pas vers un trouble envahissant du développement. En effet, dans notre cohorte principale, le nombre d’enfants dépistés (24 sur 3 765 = 0,74 %) traduit la grande sensibilité des épreuves précoces.
Elles identifient, chez 50 % des enfants dépistés (N = 12), hormis les TED avérés, des TDAH, le déficit mental, les retards de développement, de langage et des troubles de la communication. Par ailleurs, elles identifient, chez 29% des enfants dépistés (N = 7), des facteurs de risque précoce tels que la prématurité, la gémellité, les difficultés néonatales (telles qu’interventions chirurgicales, hospitalisations), les fratries comportant un aîné autiste, des troubles du lien précoce et des problématiques médicales lourdes associées.
Même parmi les enfants « faux positifs », on trouve un enfant relevant de la migration et de la précarité psychosociale. Il est remarquable de constater que l’ensemble de ces problématiques néonatales a trouvé, d’ailleurs, des réponses thérapeutiques précoces et adaptées, car elles se sont traduites, pendant le déroulement même du protocole, par la « normalisation » du parcours de ces enfants.
Ainsi, parmi les enfants ayant présenté un signe de risque au cours de la 1ère année, s’étant négativés par la suite, nous trouvons des interventions PMI de prévention :
- dans 3 cas d’accompagnement de problématiques médicales
néonatales lourdes ; - dans 2 cas de troubles du lien précoce ayant connu une suite
favorable ; - dans 1 cas de prématurité sévère ;
- et dans 1 cas d’un enfant d’une fratrie avec un aîné autiste.
Ces résultats sont tout à fait encourageants quant à l’efficacité des interventions précoces de prévention réalisées dans le cadre des suivis PMI.
Parmi les enfants ayant présenté des problématiques avérées, on observe des orientations précoces des familles vers des suivis spécialisés :
- 2 orientations CAMSP avant 3 ans ;
- 2 orientations CMP dès avant 3 ans ;
- 2 prises en charge RASED dès l’entrée en Maternelle.
Il faut ajouter à cela les interventions, en cours de protocole, des membres de notre Equipe Régionale de Référence PREAUT (3 cas), aux fins de diagnostic clinique et d’accompagnement des médecins-chercheurs.
Compte tenu de la gravité des troubles précoces du développement, nous ne pouvons que nous réjouir de la possibilité ainsi donnée, aux équipes pédiatriques de première ligne, de disposer d’outils pouvant guider leur démarche de dépistage afin de proposer, le plus tôt possible, des prises en charge adaptées.
Considérations générales sur les résultats des cohortes associées
Cohorte d’enfants syndrome de West et Sclérose tubéreuse de Bourneville
Pilotée par le Dr. L. Ouss-Ryngaert, H. Necker, Paris – Par G.C. Crespin.
Nous ne reprendrons pas ici la discussion ni les conclusions fort pertinentes tirées par son auteur sur les résultats de cette cohorte. Notre commentaire se réduira donc à un seul point : le biais signalé par L. Ouss-Ryngaert sur sa grande expérience clinique dans l’application des outils d’évaluation.
En effet, notre outil PREAUT au 9ème mois atteint, entre ses mains et appliqué sur une population à risque, une sensibilité de 93 et une spécificité de 84.
Il est certain qu’il ne se comporte pas ainsi entre les mains d’un omnipraticien face à une population tout-venant.
Je saisis cette occasion pour revenir sur l’une des faiblesses de notre protocole, maintes fois signalée : celle d’une formation trop courte pour lancer des médecins non spécialistes de la santé mentale, dans une recherche de signes nécessitant, pour en percevoir toute la finesse, certainement plus d’outils que ceux que nous étions en mesure de leur transmettre.
Dès le début de notre recherche, nous avions accepté cette faiblesse, compte tenu de notre objectif principal : mettre au point un outil de dépistage accessible aux équipes non spécialisées, en amont des professionnels de la santé mentale.
Nous remercions ici L. Ouss-Ryngaert d’avoir mis en évidence la sensibilité et la spécificité de notre indicateur PREAUT lorsqu’il est manié par des experts, même si ce niveau de performance n’est pas atteint dans son application en toutes circonstances.
Cohorte d’enfants placés avant quatre mois suite à carence environnementale grave
G.C. Crespin, à partir de données fournies par le Dr A. Seban, pédiatre, Pouponnière « Les Poussinets », St Gratien (95)
L’ensemble de données recueillies auprès d’enfants placés à la naissance ou avant 3 mois, montre une tendance cohérente et massive : les effondrements environnementaux, ayant eu lieu pendant la grossesse et/ou pendant les premières semaines de la vie, semblent se traduire par des difficultés de lien, de troubles de l’attachement qui cèdent assez rapidement à la modification de la réponse environnementale.
Ces signes de souffrance précoce, souvent matérialisés par un score incomplet au signe PREAUT au 4ème mois, s’estompent par la suite et se négativent à l’observation du 9ème mois.
Cette observation, sans pouvoir nous autoriser à une généralisation, compte tenu de la faiblesse de l’échantillon (N = 19), peut cependant nous permettre de faire deux constats :
Premier constat : concerne l’efficacité des prises en charge institutionnelles. Il n’est sans doute valable que lorsque la nature et la cohérence de celles-ci s’adaptent véritablement aux besoins de chaque enfant accueilli, conditions qui restent à préciser
Deuxième constat : l’apparition et surtout l’installation d’un syndrome du spectre autistique au-delà de la 2ème année semble nécessiter, au-delà d’éventuelles conditions environnementales, des facteurs au niveau de l’équipement neurobiologique du bébé, le prédisposant à une telle organisation. Ce constat va dans le sens des résultats des recherches neuroscientifiques actuelles.
Je voudrais ici revenir sur le comportement des signes PREAUT dans l’application par des médecins non spécialistes de la santé mentale, car il y a ici, sans doute, un autre biais de l’étude. Le médecin-chercheur de cette cohorte s’est montré très soucieux de ne pas considérer les signes de souffrance précoce présentés par les bébés au moment de leur arrivée dans l’institution, comme des « signes de la série autistique ».
Sa notation a donc été particulièrement restrictive, au sens d’une attribution du score maximum (15), même à des bébés en état de grande souffrance précoce, présentant souvent des signes de retrait relationnel, et par conséquent, des performances pauvres sur le plan de l’appétence de la communication. Cette pratique de la notation masque, du coup, la grande sensibilité du signe PREAUT au 4ème mois, vérifiée par ailleurs sur nos autres cohortes, et ne met pas non plus en relief l’impact thérapeutique du travail d’accompagnement accompli par les équipes professionnelles de l’institution.
Malgré nos recommandations concernant l’objectivité de l’observation : « le bébé cherche-t-il à se faire regarder par sa mère (ou son substitut) en dehors de toute sollicitation de celle-ci ? », et « le bébé cherche-t-il à susciter l’échange jubilatoire avec sa mère (ou son substitut) en dehors de toute sollicitation ? », et nos mises en garde des médecins concernant la non-spécificité de ces signes (ou la spécificité à montrer) aux âges observés, nous constatons que dans cette cohorte – et sans doute dans certaines autres – les médecins restent « frileux » devant le sentiment de donner une étiquette si tôt. Nos efforts de formation s’avèrent donc en partie insuffisants, comme déjà signalé, et des biais de ce type se sont sans doute glissés par ailleurs dans le remplissage de notre protocole.
Dans le cas présent, ma situation d’intervenant dans cette équipe m’a permis d’avoir accès aux observations cliniques détaillées réalisées par
les équipes éducatives. Ces observations font partie d’une autre étude en cours dans cette institution à laquelle je participe. Cette circonstance m’a permis d’en faire état, et de faire un commentaire lorsqu’il me semble que, au vu des observations cliniques par ailleurs, un score incomplet au signe PREAUT du 4ème mois aurait mieux reflété l’état clinique de l’enfant au moment de l’observation.
Si la cotation avait donc été plus proche de la consigne, nous aurions eu, sur l’échantillon de 19 enfants observés, 4 cas supplémentaires de scores incomplets au 4ème mois. Il est à noter que ces scores incomplets ne correspondent pas au critère de risque d’évolution vers un TA, mais reflètent plutôt des difficultés de développement au sens large, retentissant sur le domaine de la communication.
Par ailleurs, il faut noter que 2 autres enfants de cette cohorte, admis peu après la naissance dans des états de souffrance intense, ont évolué suffisamment rapidement pour ne plus présenter de signe de risque à l’observation du 4ème mois. Il me semble devoir ici saluer le travail de portage intensif fourni par les équipes de la pouponnière.
Enfin, je voudrais terminer en soulignant que la récupération rapide, pour un enfant, dès qu’il y a modification de l’environnement, me semble être un critère assez intéressant et fiable de diagnostic différentiel entre trouble autistique et trouble du lien.